Kasai All Stars et la vivacité de la scène congolaise, interview de Vincent Kenis, traqueur de sons (RFI)

RFI Musique : Comment est né le Kasaï All Stars ?
Vincent Kenis
: L’idée était de réunir des musiciens du Kasaï oriental et du Kasaï
occidental. En bon béotien, je pensais qu’il y avait forcément des
points de concordance même s’ils étaient d’ethnies différentes. J’ai
donc demandé à plusieurs orchestres de coopter chacun trois, quatre
membres pour essayer de faire une association temporaire. Il s’agissait
pour tous de garder leurs spécificités, de conserver même l’identité de
chaque groupe, mais aussi de trouver une place inédite hors de toute
tradition. Résultat : les répertoires, sans se mélanger, sans
compromettre chaque culture, se complètent de manière inventive.

C’est cela le tradi-moderne ?
Le
tradi-moderne, c’est juste de tradition amplifiée. Après, il y a un
malentendu quant à la perception que l’on en a en Europe ou aux
Etats-Unis. Ce n’est pas parce que cela sonne comme du rock, avec des
distorsions, que cette musique est jouée par des rebelles qui cherchent
la transgression. D’ailleurs, quand Minguiedi de Konono N°1 joue du
likembé, il ne fait que reproduire les chansons que lui enseignait son
père, chef d’orchestre de trompes en ivoire à la cour d’un roi. Chaque
lame de son instrument est une trompe, une personne. Si vous lui
demandez, il vous dira qu’il s’inscrit depuis ses débuts, en 1966, dans
le droit fil de cette filiation. Simplement, tout ceci est amplifié, de
manière rudimentaire, ce qui suscite des adaptations de l’artiste. Mais
s’il y a des trouvailles, elles ne sont pas le fruit d’une volonté de
recherche. Les choses se présentent comme telles. Comme le bluesman
Elmore James lorsqu’il prend une guitare slide amplifiée, il invente un style qui est la conséquence des moyens techniques et des circonstances.

">

Phénomène très fort en Europe, le tradi-moderne correspond-il à une réalité artistique et sociale sur place ?
L’impact
local est à peu près nul. A Kinshasa, le tradi-moderne est une musique
qui a plus de trente ans, ce qui correspond d’ailleurs aux références
que l’on évoque à leur propos : Lee Perry, Can ou Jimi Hendrix. Tout a
commencé à l’époque du match Ali-Foreman, en 1974, qui coïncidait avec
la grande campagne d’authenticité lancée par Mobutu, sur le modèle de
Sékou Touré. Il y a eu une floraison d’orchestres, qui ont enregistré
des 45-tours. Ce n’est pas par hasard si, l’an dernier lors de la
remise du trophée BBC à Konono N°1, Hugh Masekela qui était le
présentateur de la cérémonie s’est souvenu qu’en 1974 il y avait des
orchestres comme eux à chaque carrefour de Kinshasa.

Comment expliquer alors que cette musique,
"patrimoniale", soit devenue un objet de culte pour les plus branchés
et les expérimentateurs ?
L’élément unificateur, c’est
l’électricité, la distorsion. Pour la rendre expressive, il n’y a pas
trente-six moyens et les techniques se rencontrent, se reconnaissent,
avec en même temps de vraies différences, un likembé n’étant pas une
guitare. C’est donc à la fois très proche et très éloigné, donc
radicalement étrange. C’est ça qui a touché le public ici.

En vingt ans, comment regardez-vous l’évolution de la scène congolaise ?
Il
y a un appauvrissement, dû aux conditions socio-économiques. Là où il y
avait un Top 20, aujourd’hui c’est un Top 5. Les gens n’ont plus accès
aux disques, la piraterie est immense, les droits d’auteur inexistants,
et désormais tous les concerts sont parrainés par des compagnies de
téléphone ou des producteurs de bière. Tout cela s’explique par les
sommes dérisoires que perçoivent les musiciens, voire le chef
d’orchestre. Quant aux plus jeunes, ils n’ont pas accès aux instruments
et, quand ils y arrivent, ils n’ont pas accès aux médias. Tout cela a
eu pour conséquence un non-renouvellement de génération. Hormis le
kotazo, la musique pour les boxeurs et les voyous, le seul phénomène
notable, bien qu’encore très souterrain, il y a une vague de hip hop
venue des cités, et non des quartiers aisés où l’on copie souvent
stérilement les modèles étrangers, qui s’exprime en lingala. Mais tout
ce qu’ils ont, ce sont des caisses de bière et leurs voix. Ils vont
sans doute être les premiers à récupérer les sonorités tradi-modernes.
Il faut juste leur donner des moyens. Je compte d’ailleurs travailler
avec certains, mais rien n’est encore signé.

">

S’agissant de projets, quelle sera la teneur du prochain Konono N°1 ?
Je
compte établir une connexion entre ceux qui ont la tradition à portée
de mains et qui découvrent le monde et ceux qui peuvent leur expliquer
ce monde, la diaspora. Il y aura des invités issus de la tradition
congolaise comme Sam Mangwana. Je souhaite aussi envoyer des bandes au
Colombien Lucas Silva, pour que des musiciens de Carthagène ajoutent
leurs touches, et que les Congolais en retour décident comment les
incorporer. Que ce soit une vraie rencontre transcontinentale. Il y a
d’autres connexions un peu oubliées, avec Belize, le Brésil, la
charanga cubaine, que l’on peut réaliser à travers des échanges de
fichiers. C’est une bonne idée d’autant qu’avec les problèmes de
Schengen*, on peut se demander si les musiciens pourront sortir du
pays. Au moins, ils pourront communiquer et dialoguer par Internet.

L’une des prochaines signatures du label, c’est Staff Benda Bilili Band dont on parle déjà beaucoup ici…
Il
s’agit d’un orchestre de paraplégiques, rejoints par des jeunes de la
rue, des shengués. Ils font une musique qui est influencée par la rumba
congolaise, mais qui comporte des éléments de raggamuffin, de reggae,
un peu de rhythm’n’blues. C’est une musique jouée dans la rue,
acoustique, qui commence à s’électrifier. Il y a un petit jeune, Roger,
qui a inventé un instrument monocorde, le satongué. Je lui ai donné un
micro avec une pédale wah wah. C’est un peu le Jimi Hendrix du système
D. Le batteur joue sur une chaise en plastique sur laquelle il y a un
faisceau de branches de raphia maintenues par des parpaings, avec des
baguettes taillées dans du bois. Il peut sonner comme une espèce de
Ginger Baker ! Il y a le même désir d’inventer un son avec ce que l’on
a sous la main. En cela on peut les rapprocher de l’idéologie du punk,
c’est-à-dire cette conviction de faire quelque chose malgré les
obstacles, physiques ou techniques.

On aura la chance de les voir en Europe, sachant les problèmes de visas que connaissent les Konono N°1 ?
On
espère que monsieur Sarkozy va fournir un Transall. Parce que c’est ça
le problème : les chaises roulantes pèsent chacune cent kilos. Plus
sérieusement, j’espère, mais c’est sûr que d’un point de vue logistique
ce sera encore plus compliqué !


 Ecoutez un extrait de Mpombo yetu en annexe


*Problèmes
liés à l'obtention de visas Schengen valables dans l’ensemble de
l’espace Schengen, soit une quinzaine de pays européens. 

Kasai Allstars In the 7th moon, the chief turned into a swimming fish and ate the head of his enemy by magic (Crammed Disc) 2008

Links:

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.